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Les drones : forces et faiblesses de l’artillerie

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8/10/24
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Les drones se sont révélés, lors de la guerre en Ukraine, comme un élément indispensable de la chaîne de renseignement et de ciblage. Ils ont permis de rendre l’artillerie pratiquement autonome pour traiter des cibles d’opportunité et surtout de lui donner une réactivité jamais atteinte grâce à la miniaturisation et au nombre de vecteurs mis à la disposition des forces.

Les drones se sont révélés, lors de la guerre en Ukraine, comme un élément indispensable de la chaîne de renseignement et de ciblage. Ils ont permis de rendre l’artillerie pratiquement autonome pour traiter des cibles d’opportunité et surtout de lui donner une réactivité jamais atteinte grâce à la miniaturisation et au nombre de vecteurs mis à la disposition des forces. Cet usage, au profit de l’artillerie, n’est pas en soit nouveau, mais la multiplication des drones a permis d’avantageusement compléter les moyens de renseignement tactique traditionnels, comme la reconnaissance aérienne, l’infiltration des forces spéciales ou le recours à des partisans restés derrière les lignes ennemies.

Néanmoins, les protagonistes se sont adaptés à la menace et les drones, de par leurs caractéristiques techniques imposent aussi certaines limites. Ces éléments sont de ceux qui font qu’aujourd’hui, il est très difficile, sur le théâtre ukrainien, d’utiliser le plein potentiel de la portée de l’artillerie.

Quatre catégories de drones

Les drones sont souvent définis par leur poids. La classification des drones ne se fait que sur ce critère. Pourtant, on peut aussi classer les drones par le type de liaison radio qu’ils utilisent, car les caractéristiques physiques que cela impose donnent des gammes d’élongations très différentes ce qui a naturellement une influence sur la configuration aérodynamique et la taille des drones.

Drones à télécommandes portables : cette catégorie est représentée par la majorité des drones grand public qui sont pilotés par un simple téléphone portable ou par une télécommande similaire à celles utilisées dans le radio modélisme. Grâce à leur prix réduit et leur facilité d’utilisation, ce sont les drones qui sont les plus utilisés en Ukraine par les deux belligérants sur la ligne de front. Ils sont mis en œuvre par un seul opérateur, ils ne demandent pas de logistique lourde et pratiquement n’importe qui peut les utiliser. Que ce soit des drones civils ou des drones militaires, les capacités sont similaires (ANAFI, MAVIC, NX-70, QUANTIX RECON…). Leur utilisation est généralement possible jusqu’à un maximum de 5 km de distance dans de (très) bonnes conditions (inter visibilité). Ils doivent représenter plus de 80 % des drones sur le terrain.

Drones à télécommandes portables

Drones à station de communication légère : cette catégorie est représentée par les drones professionnels (civils ou militaires) nécessitant un peu plus de logistique puisque la liaison radio est assurée par une antenne montée sur un mât léger de quelques mètres. Grâce à l’inter visibilité gagnée par la hauteur des antennes et une puissance d’émission supérieure, cela permet une communication entre 10 km et 50 km de distance environ voir jusqu’à 100 km si une télécommande en basse fréquence est utilisée. Cette configuration ne permet alors pas de retour vidéo en temps réel. La mise en œuvre reste facile puisque cela ne nécessite pas plus de 2 personnes pour l’installation et l’utilisation. Les drones sont généralement un peu plus gros que dans la catégorie précédente, car ils disposent de plus d’autonomie. Ils peuvent encore être lancés à la main pour les plus légers, mais on voit régulièrement l’installation de catapultes de lancement pour les voilures fixes. Leur empreinte logistique plus importante interdit leur utilisation en déplacement contrairement à la catégorie précédente. Pour être mis en œuvre dans une relative sécurité, il faut donc les éloigner de plusieurs kilomètres de la ligne de front afin d’éviter d’être repéré trop facilement par les systèmes de guerre électronique adverse. Dans cette catégorie, on trouve les drones comme les SMDR, ORLAN-10, RQ-20 PUMA, BAYRAKTAR MINI etc. Ces drones représentent la deuxième catégorie de drones les plus utilisés en Ukraine. Leur prix plus élevé, leur empreinte logistique plus importante en font des machines un peu plus délicates à utiliser. Ils représentent pratiquement la totalité des 20 % restant des drones utilisés en Ukraine.

Drone SMDR sur sa rampe de lancement avec le mât radio
Drone SMDR sur sa rampe de lancement avec le mât radio

Drones à station de communication directionnelle de forte puissance : ces drones nécessitent une certaine logistique, car ils ont besoin d’une infrastructure conséquente pour les postes de pilotage, les liaisons radio (mâts de plus de 5 m de hauteur). Ce sont aussi des machines beaucoup plus imposantes, de grande autonomie qui peuvent nécessiter une piste de décollage. Généralement, ce type de liaison radio permet de garder le contrôle de l’appareil sur des distances allant de 150 à 300 km et à la condition que les drones volent relativement haut afin de rester en inter visibilité avec la station de contrôle. Dans cette catégorie, on trouve les drones tels que les TB-2, S-100, FLYEYE, ORION, PATROLLER, etc. La lourdeur de l’installation et le manque de discrétion tant visuelle qu’électromagnétique impose de les mettre en œuvre relativement loin de la ligne de front (plusieurs dizaines de kilomètres en arrière). En-dehors du TB-2 qui a été largement utilisé dans les premières semaines de la guerre en Ukraine, mais au prix d’une forte attrition, ce type de drones n’est aujourd’hui que marginalement utilisé. Ce sont des machines bien trop vulnérables à la défense sol/air et qui restent trop onéreuses pour risquer de les perdre trop rapidement.  

Station de contrôle du drone S-100 de Schiebel
Station de contrôle du drone S-100 de Schiebel

Drones pilotés par satellite : dans cette dernière catégorie, on trouve les drones les plus imposants et aussi les plus chers. Déjà une liaison par satellite à haut débit nécessite un module de communication d’environ 5 kg au minimum à embarquer sur le drone ce qui réserve, de facto, cette capacité à de grosses machines. L’avantage est qu’il n’y a plus vraiment de limites à la portée de la liaison de données, la portée n’étant limitée que par l’endurance du drone. Les stations de contrôle peuvent être à l’autre bout du monde et rester totalement à l’abri. Dans cette catégorie, on y trouve tous les grands drones comme les REAPER, RQ-4 GLOBAL HAWK, SIRIUS, WING LOONG, etc. Ces drones de haute valeur, plusieurs millions à plusieurs dizaines de millions de dollars l’unité, ne sont pas utilisés en Ukraine, leur taille en font des machines fort peu discrètes et des cibles très (trop) faciles pour la défense sol/air voire la chasse aérienne adverse.

Cas particulier des drones pilotés par GSM : certains drones peuvent aujourd’hui être directement pilotés en utilisant le réseau téléphonique 4G ou 5G ce qui offre la possibilité théorique de se détacher des contraintes liées à la distance et à l’inter visibilité pour peu que le pilote et le drone restent tous deux à portée d’antennes relais. Néanmoins, utiliser le réseau GSM impose quelques contraintes à commencer par celle de la disponibilité du réseau sur toute la trajectoire ce qui peut être très aléatoire en zones de guerre ou en zones à faibles densités de population. De plus, le retour vidéo via ce moyen souffre d’un délai de latence, certes faible (autour de 40 ms, si tout va bien en 4G contre moins de 30 ms pour les drones en liaison radio numérique directe à comparer au temps de latence marginal, de quelques microsecondes, pour une liaison radio analogique) mais néanmoins non garantie et très contraignant pour certaines applications comme le largage de munition ou les drones suicides. De plus, le débit associé est très variable en fonction du niveau d’encombrement du réseau ce qui peut vite devenir problématique même pour la reconnaissance avec un risque non maîtrisé de voir la définition des images s’écrouler voire s’interrompre. Pour résumer, l’utilisation du GSM se révèle encore peu fiable et n’est que peu mise en œuvre en pratique même si sur le papier ses avantages sont indéniables autant pour sa portée théorique que pour sa relative discrétion électromagnétique (impossible de distinguer la liaison radio d’un drone de celui d’un téléphone).

Une portée contrainte

Les drones de la première catégorie, aujourd’hui principale source de renseignement pour l’artillerie en Ukraine, limitent de facto les portées de tir. Si on considère que les pièces d’artillerie et les lance-roquettes sont généralement placés entre 5 et 10 km derrière la ligne de front, on se rend compte que dans la très grande majorité des cas, les frappes sont effectuées à une distance inférieure à 15 km. Seule la deuxième catégorie de drones permet d’exploiter un peu plus de profondeur, mais bien que la distance de pilotage maximale théorique soit d’une cinquantaine de kilomètres (souvent moins en pratique), les drones sont envoyés de l’arrière du front (là où se trouve la station de contrôle) ce qui ampute la portée d’une bonne dizaine de kilomètre.
En pratique, les drones utilisés sur le terrain peuvent difficilement faire de la désignation d’objectif au profit de l’artillerie à plus de 30 km derrière la ligne de front en territoire ennemi ce qui ne permet pas d’exploiter les portées maximales des pièces d’artillerie ni des lance-roquettes multiples.


Toutefois, un autre élément important limite les portées de tir. La dispersion des obus d’artillerie et des roquettes non guidées croit avec la distance de manière non linéaire et exponentielle. Ainsi, à titre d’exemple, si une pièce d’artillerie à une ECP[1]  de 100 m avec un tir à 20 km, son ECP sera d’environ 50 m pour un tir à 15 km et inférieure à 20 m pour un tir à 10 km. Il est donc peu avantageux de chercher à tirer à la distance maximale et préférable d’obtenir une meilleure précision en tirant à des distances plus réduites afin de limiter la consommation de munitions.


Si on met souvent en avant la précision des obus et des roquettes guidées qui sont fournies aux forces ukrainiennes, il faut savoir que sur les plus de 1,5 million d’obus d’origine occidentale qui ont été livrés à l’Ukraine moins de 5 000 sont des obus guidés soit moins de 0,3 % ce qui est logique quand on sait que le prix d’un obus guidé est 10 à 20 fois supérieures à celui d’un obus standard. Pour autant, le chiffre réel de l’emploi d’obus de précision est en réalité bien moindre, car plus des 2/3 des tirs d’artillerie ukrainiens sont encore effectués par leurs pièces d’origine soviétique. En pratique, on peut estimer que moins d’un obus sur 1000 tiré par les Ukrainiens est un obus guidé. Le rapport est sensiblement identique concernant les roquettes. La grande majorité des tirs de roquettes sont effectués par les BM-21, les BM-27 et les BM-30 avec des roquettes non guidées. En quantité, l’emploi des roquettes guidées des HIMARS ou des BM-30 est marginal. Les roquettes longues portées sont d’ailleurs employées à un niveau plus stratégique pour frapper des postes de commandement, des dépôts de munitions ou des infrastructures (ponts, routes, voies de chemin de fer) qui sont par nature des cibles fixes dont le ciblage a été effectué à partir d’images satellites ou de renseignement humain, mais rarement par des drones.


Il faut noter que la problématique côté russe est exactement la même et eux aussi n’exploitent que très peu la portée maximum de leur artillerie. Toutefois, la Russie dispose, pour ces BM-30, de roquettes 9M534 capables d’envoyer un drone suicide T90 pouvant communiquer ses images en temps réel jusqu’à 70 km de distance. A ce stade, on ignore si ce modèle de roquette a été utilisé en Ukraine.

Roquette de 300 mm 9M534
Roquette de 300 mm 9M534
Drone « suicide » T-90 embarqué sur roquette 9M534
Drone « suicide » T-90 embarqué sur roquette 9M534

Si les liaisons de données des drones, de par leurs caractéristiques techniques, limitent la portée efficace de l’artillerie, cela reste, malgré tout, tout à fait cohérent avec l’utilisation de munitions non guidées et c’est sans doute là où les drones sont le plus utiles.

Vulnérabilité à la guerre électronique

Selon un rapport du RUSI publié à la fin du mois de novembre, les moyens de guerre électronique russe sont terriblement efficaces contre les drones ukrainiens. La durée de vie des drones serait, en moyenne, limitées à 3 vols pour les multicoptères et 6 pour les drones à voilure fixes. Au total, ce serait 90% de la totalité des drones ukrainiens utilisés sur les quatre premiers mois de la guerre qui auraient été détruit.


Selon ce document, les drones ukrainiens tombent à un rythme alarmant et cela complique le contrôle des tirs d’artillerie, supprimant tout avantage de précision. Les auteurs s’inquiètent du fait que les batteries d’artillerie ukrainiennes pourraient être réduites à tirer à l’aveugle, aggravant, au passage, les problèmes d’approvisionnement en munitions d’artillerie et mettant encore plus à rude épreuve les capacités des États-Unis et de l’OTAN à approvisionner l’Ukraine afin de la maintenir dans le combat.
Il est toutefois assez peu probable que les Ukrainiens soient réellement réduits à tirer à l’aveugle, et ce, pour deux raisons principales :

  • La première est que la majorité des drones utilisés sont des engins peu chers et faciles à se procurer. Il est donc peu probable que les livraisons s’arrêtent brutalement, le marché du drone est aujourd’hui suffisamment développé pour éviter les pénuries. Les pertes, même importantes, ne sont pas vraiment un problème, cela doit juste se prévoir.
  • La deuxième est que les Ukrainiens s’équipent aussi de systèmes d’observations terrestres. Ils ont notamment développé un système formé d’une caméra monté sur un mât de 18 m installé sur un pick-up qui permet de voir jusqu’à 5 km de distance. Ce système de 2 000 € environ leur permettrait de recaler les tirs d’artillerie jusqu’à 2 ou 3 km au-delà de la ligne de front. Bien entendu, les performances sont en deçà de ce que peuvent apporter les drones et cela contraint encore plus la portée de l’artillerie, mais cela offre tout de même certaines capacités d’observation d’autant qu’il ne faut pas oublier que dans une guerre de position, l’essentiel des cibles potentielles se trouvent sur la ligne de front, là où se concentrent les forces adverses, c’est-à-dire sur une profondeur réduite de quelques centaines de mètres à quelques kilomètres.

La performance opérationnelle d’un matériel se réduit rarement à ses performances théoriques telles que données dans les plaquettes commerciales[2]. Elles sont dépendantes de tout d’un écosystème. Or dans une chaîne de valeur, c’est toujours l’élément le plus faible qui impose les limites. Disposer d’un canon qui peut tirer à 30km ou d’un autre qui peut tirer à 25 km au maximum ne change pas grand-chose quand en pratique on ne tire que rarement au-delà de 15 km.

Aujourd’hui la portée des tirs d’artillerie est limitée non par la portée maximale théorique des canons ou des lance-roquettes mais par celle du renseignement et de la dispersion (précision) des munitions. On notera que cette capacité peut-être également contrainte par la vulnérabilité des moyens engagés. Le cas des drones l’illustre parfaitement puisqu’ils se montrent particulièrement vulnérables aux systèmes de guerre électronique qui permettent de les neutraliser à moindre coût.

Les drones sont peut-être la révélation de cette guerre mais ils n’en imposent pas moins leurs limites et leurs vulnérabilités. C’est bien parce que ce sont des engins peu coûteux que l’on peut aligner en masse qu’ils présentent un intérêt très prononcé sur le champ de bataille.

[1]      ECP = Erreur Circulaire Probable qui est, selon la définition OTAN (AAP-21) : « L’écart circulaire probable se définit comme le rayon du cercle à l’intérieur duquel tomberaient 50 pour cent des projectiles ou des missiles »

[2]     https://cf2r.org/rta/avoir-de-meilleures-armes-quest-ce-que-ca-veut-dire/

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