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Suppression des défenses sol/air: le rôle des drones

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8/10/24
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Les drones avaient déjà été utilisés en Libye et en Syrie, mais leur efficacité a été particulièrement marquante lors de la guerre entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie : les drones azéris, accompagnés de vieux avions utilisés comme appâts, ont considérablement affaibli la défense anti-aérienne arménienne.

Cet usage des drones avait déjà été observé ponctuellement en Libye et en Syrie. Mais c’est lors de la guerre entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie que cela fut le plus probant : les drones azéris, astucieusement disposés en parallèle de vieux avions dronisés utilisés en tant qu’appâts, avaient sérieusement diminué la défense anti-aérienne arménienne non préparée à ce type de combat. La guerre en Ukraine est le second conflit où des drones sont massivement employés contre les systèmes sol/air. Au début de la guerre, ce sont surtout les TB-2 d’origine turque qui ont détruit plusieurs systèmes sol/air russes, tous inactifs au moment de leur destruction. Dans quelques cas d’attaques de dispositifs actifs, les drones TB-2 engagés ont été éliminés. Finalement, ce sont les munitions rôdeuses, aussi appelées « drones suicides », qui ont fait le plus de dégâts. Ces drones ont à leur actif bien plus de « victimes » que les moyens SEAD (Suppression Ennemi Air Defense) traditionnels composés de missiles anti-radar (KH-31P et KH-58 côté russe et AGM-88 côté ukrainien). Même le couple « drone d’observation/artillerie » s’est montré plus efficace.

Pourquoi les missions SEAD sont-elles peu efficaces ? Comment les drones peuvent-ils trouver leur place dans la SAED telle qu’elle est pratiquée ? Questions complexes auxquelles nous répondront au travers de ces différentes parties :

  • La SEAD Russe : méthode classique entre efficacité très relative et insuffisance des moyens
  • La SEAD ukrainienne : peu de moyens et pour quels effets recherchés ?
  • Le rôle des drones dans les missions SEAD
  • La nécessaire refonte des missions SEAD et importance de l’adjonction de moyens LAD à tous les moyens de défense sol/air proche de la ligne de front.

La SEAD Russe : méthode classique entre efficacité très relative et insuffisance des moyens

Lors des premières heures de l’invasion, la Russie a réalisé de nombreuses missions SEAD contre la défense sol/air ukrainienne et, dans le même temps, elle envoyait plusieurs salves de missiles contre leurs infrastructures militaires. Jusque-là, rien que de très classique, la Russie s’assurait la supériorité aérienne sur le moment pour effectuer ses frappes. Pour ce faire, elle a utilisé principalement les avions SU-30, SU-34 et SU-35, équipés de nacelles de brouillage SAP-518 et SAP-14 chargées de brouiller les radars, et embarquant des missiles anti-radar KH-31P.

SU-30 configuré pour les missions SEAD avec les nacelles de brouillage et deux missiles anti-radar KH-31P

Les radars ukrainiens rendus aveugles, un essaim de missiles de croisière, auxquels se mêlaient des missiles anti-radar, a été efficace : une bonne partie des moyens anti-aériens déployés à ce moment par l’Ukraine a été neutralisée, au moins temporairement. Seulement, avec tout juste de quoi équiper en nacelles de brouillage une quinzaine d’avions (dont un moins un a été abattu), la force aérienne russe était bien incapable de soutenir l’effort dans la durée pour réduire une défense sol/air adverse, certes un peu datée, mais néanmoins nombreuse, multicouches et performante. Pour réussir à étouffer durablement la défense sol/air ukrainienne, il aurait fallu plusieurs semaines d’opérations SEAD en continu, avec plusieurs dizaines de missions par jour. C’était de toute façon totalement hors de portée compte tenu de la faiblesse des moyens russes disponibles, sans compter que la défense anti-aérienne ukrainienne s’est aussi adaptée pour diminuer sa vulnérabilité. C’est donc moins un problème de doctrine qu’un problème de capacités qui explique en partie la situation.

Néanmoins, on peut s’interroger sur l’ampleur des ressources dont il faudrait réellement disposer pour réduire au silence une telle densité de défense sol/air. Jamais un pays n’a été confronté à un tel niveau de capacités anti-aériennes. A côté, l’Irak, la Serbie ou la Libye font figure de nains et il n’est même pas certain que les USA disposent de suffisamment de matériels pour une telle tâche.

Rappelons-nous que, même en Serbie, la défense sol/air n’a jamais pu être complètement neutralisée malgré 4397 missions SEAD et les tirs de 743 missiles anti-radars AGM-88. Pourtant, le pays ne disposait que de systèmes très anciens – S-75 (SA-2), S-125 (SA-3) et 2K12 Koub (SA-6) – et en nombre limité (2 batteries de SA-2, 14 batteries de SA-3 et 22 systèmes SA-6) dont la plupart ont survécu au conflit et constituent, aujourd’hui encore, l’ossature de la défense sol/air serbe. Le bilan à posteriori de ces missions SEAD paraît bien modeste avec seulement 2 SA-2, 8 SA-3 et 3 SA-6 réellement détruits. On constatera que ce sont les systèmes fixes (SA-2) ou semi-mobiles (SA-3) qui ont payé le plus lourd tribut. De manière générale, la défense sol/air serbe a été grandement préservée, mais les missions SEAD lui ont fait perdre beaucoup de missiles (815 missiles anti-aériens de tous types ont été tirés par les Serbes) car certaines interceptions ont dû être interrompues à cause de la menace des missiles HARM. Si la supériorité aérienne a pu être acquise par les alliés, c’est grâce à une disproportion énorme des moyens, à l’ancienneté et à la faible mobilité des systèmes anti-aériens moyenne et longue portée serbes ainsi qu’au fait qu’un tiers des appareils alliés engagés à chaque raid était dédié à la SEAD. Les très nombreux systèmes à courte portée n’ont jamais représenté une menace pour les avions de la coalition qui préféraient opérer depuis la haute altitude, en dehors des volumes de tir.

L’histoire nous apprend donc que les missions SEAD servent à gêner plus qu’à détruire les équipements anti-aériens adverses. On ne pouvait donc pas attendre qu’il en soit différemment pour l’intervention russe, surtout au regard de la faiblesse des moyens disponibles.

Depuis, les Russes n’effectuent que de rares missions SEAD puisqu’ils n’engagent que très peu leur aviation au-dessus du territoire ukrainien. Seuls quelques missiles KH-31P et KH-58 sont utilisés lors des frappes dans l’espoir d’augmenter le nombre de coups au but, tout en essayant de réduire l’efficacité de la défense sol/air par la menace que font peser ces missiles. Les opérateurs ukrainiens doivent alors résoudre le dilemme suivant : soit ils coupent le radar associé au système d’armes pour le préserver, mais laissent passer les missiles, soit ils décident de le laisser en fonctionnement pour intercepter autant d’engins que possible, dont les missiles anti-radar, mais en prenant le risque que le système d’armes soit détruit. Il semble que ce soit cette deuxième option qui ait été choisie par les Ukrainiens.

Les forces aériennes russes sont aujourd’hui essentiellement utilisées pour faire des frappes à distance de sécurité à partir de leur territoire. Tout juste protègent-ils leurs avions par la présence d’un hélicoptère de guerre électronique Mi-8MTPR-1[1], ou Mi-8SMV plus ancien, dont la fonction est de brouiller les radars adverses pour éviter que les appareils ne soient pris à partie par la défense sol/air ukrainienne au moment où ils gagnent en altitude pour larguer leur armement.

Missile KH-31P abattu par la défense sol/air ukrainienne

On peut le constater, les missions SEAD réalisées par la Russie n’ont que marginalement entravé la défense sol/air ukrainienne. Les effets sont restés limités et de courte durée, mais, au regard des opérations militaires passées (Irak et Serbie principalement), ce n’est nullement surprenant. L’efficacité réelle des missiles anti-radar est souvent contestée. En effet, ils sont inopérants lorsque le radar ennemi a cessé d’émettre. Les dernières versions du missile AGM-88 américain lui permettent de continuer son chemin sur la dernière position connue du radar visé, encore faut-il connaître cette position avec suffisamment de précision. La triangulation des signaux n’est pas assez exacte pour obtenir une localisation fine des émetteurs. Une utilisation intermittente des radars, associée à une mobilité des systèmes sol/air, permet ainsi de déjouer ces missiles sans trop de difficultés.

Actuellement, les Russes semblent davantage miser sur l’épuisement des stocks de missiles anti-aériens dont dispose l’Ukraine que sur la destruction des systèmes en eux-mêmes. Si des moyens occidentaux sont arrivés, et arrivent en renfort, le matériel ex-soviétique représente encore 89 % de la défense sol/air moyenne et longue portée ukrainienne; le matériel occidental est trop peu nombreux pour le remplacer intégralement.

La SEAD ukrainienne : peu de moyens et pour quels effets recherchés ?

De son côté, l’armée ukrainienne ne disposait, avant la guerre, d’aucun moyen adapté à la destruction des défenses sol/air. De fait, son aviation a dû rapidement se contenter de voler à basse altitude et au-dessus de son propre territoire pour échapper à la défense anti-aérienne et à l’aviation de chasse russes. Néanmoins, les États-Unis ont décidé de livrer des missiles anti-radar AGM-88D HARM à l’Ukraine. Comme les Ukrainiens ne disposent pas d’avions en mesure de les utiliser directement, une adaptation a été réalisée sur les MIG-29 et SU-27. L’intégration, très minimaliste, permet juste l’emport et le tir du missile par le pilote à partir d’une tablette ou d’un boîtier de commande rajouté pour la circonstance. La munition ne peut être utilisée que selon un seul mode, appelé « Pre-Briefed (PB) », qui ne nécessite pas d’interaction avec le système de combat de l’appareil. Ce procédé permet le tir en direction de la position connue ou probable d’un radar (conduite de tir ou radar de veille) à la manière d’un missile de croisière (guidage inertiel recalé par GPS pour la version D du missile) ; il faut alors espérer, pour qu’il puisse être détruit, que ce radar soit actif ou s’active pendant le vol du missile. Ce n’est clairement pas le mode de fonctionnement le plus opérant de ce type de matériel pour espérer avoir un impact significatif sur la défense sol/air ennemie. L’arrivée de F-16, d’ici quelques mois, devrait permettre aux Ukrainiens d’utiliser les missiles HARM un peu plus efficacement.

Cette arme est employée épisodiquement depuis le mois d’août 2022 par les Ukrainiens. Quelques vidéos mises en ligne montrent les tirs à partir des MIG-29. Côté bilan, les Ukrainiens affirment avoir détruit plusieurs dizaines de systèmes anti-aériens russes dont 4 S-300 et au moins 1 S-400. Seulement ce bilan est non seulement totalement déclaratif et impossible à vérifier, mais apparaît également assez improbable. Les Ukrainiens n’ont d’ailleurs eux-mêmes aucun moyen de le vérifier, sauf à envoyer un drone sur zone ou à bénéficier d’une image satellite pour constater de visu que les cibles ont été atteintes ; mais pour cela, il faut d’abord en connaître la position exacte, ce qui à priori n’était pas le cas. Quoi qu’il en soit, à ce jour, il n’existe aucune preuve formelle qu’un système sol/air russe ait été effectivement détruit par un missile AGM-88.

Malgré tout, il ne peut être totalement exclu que certains équipements sol/air russes aient été touchés, même si on peut en douter au regard des expériences antérieures. Si c’est le cas, cela concerne probablement des systèmes à courte portée intégrés, c’est-à-dire sur un seul véhicule comprenant le radar de veille, la conduite de tir et les missiles. Les systèmes moyenne et longue portées russes sont constitués de plusieurs éléments et un missile anti-radar ne peut, seul, les détruire complètement. Au pire un seul des éléments est touché, ce qui ne neutralise pas forcément le système. Dans le cas des S-300 et des S-400, une telle destruction paraît très improbable. En effet, le mode de fonctionnement de ces équipements met en œuvre plusieurs radars de veille qui, en plus, sont interconnectés avec le réseau radar de surveillance aérienne ; la conduite de tir ne s’active que pour engager une cible, donc au moment du tir. En conséquence, soit le missile anti-radar est programmé sur un des radars de veille dont la destruction ne sera pas suffisante pour neutraliser le système, soit le missile est programmé sur la conduite de tir qui n’est pas allumée en permanence, donc il ne peut pas remonter le signal et il se perd.

Autre point, le missile AGM-88 est un missile supersonique d’une portée de 150 km largué par avion volant à 2280 km/h, or les Ukrainiens ne disposent d’aucun autre armement ayant une cinématique équivalente. En conséquence, les radaristes russes n’ont aucun mal à identifier l’écho généré par ce mobile et peuvent donc prendre les mesures adéquates : tenter une interception ou ordonner l’extinction des radars associés aux systèmes sol/air afin que le missile se perde. Le risque engendré par l’extinction des radars est très limité puisque les Ukrainiens ne tentent pas de pénétrer l’espace aérien contrôlé par les Russes et, compte tenu de la vitesse du missile et de sa portée, le temps de vol reste très court (moins de 5 mn). En tout état de cause, les seuls restes de missiles AGM-88 retrouvés et diffusés ont été ceux d’engins qui semblent s’être écrasés faute de cibles, ce qui accrédite l’inefficacité des AGM-88 HARM utilisés par les Ukrainiens.

Restes d’un AGM-88 HARM qui s’est écrasé sur un territoire tenu par la Russie

On peut aussi s’interroger sur l’objectif recherché par les Ukrainiens avec ces attaques. Détruire des défenses sol/air n’a d’intérêt que si on envisage d’utiliser l’espace aérien contesté. Ce n’est visiblement pas le cas des Ukrainiens qui se contentent de frapper dans la profondeur avec des roquettes longue portée, des missiles de croisière ou des drones « missilisés ». De plus il n’y a pas eu non plus de coordination entre les frappes dans la profondeur et les tirs de missiles anti-radar, comme le font les Russes, ce qui enlève pratiquement tout intérêt à l’utilisation de ces missiles qui ont, dans le cas ukrainien, été gaspillés sans autre objectif que celui de tenter de détruire, un peu au hasard, des équipements russes. A voir comment évoluera l’utilisation de ces armes depuis la livraison des missiles de croisière subsoniques Storm Shadow.

Au mois de mai, il a été retrouvé près de Louhansk les restes d’un missile leurre américain ADM-160B MALD tiré par avion. Cela se présente sous la forme d’un « mini missile » subsonique dont la signature radar (SER) est artificiellement augmentée afin de simuler la cinématique d’un avion de combat. Sa portée serait de plus de 900 km et sa vitesse de mach 0,91. Ces leurres ont été pensés pour être utilisés dans les missions SEAD afin de multiplier artificiellement le nombre de cibles que « voient » les systèmes de défense sol/air adverses. Dans le cas ukrainien, on comprend mal l’emploi de ce leurre en dehors de toute opération SEAD structurée. On peut imaginer que cela aurait pour but d’épuiser les missiles sol/air ennemis mais, à 322 000 $ le leurre, cela reste bien trop cher. En conséquence, on peut émettre deux hypothèses  complémentaires :

  • La première est que ce type de leurre est utilisé ponctuellement par les Ukrainiens au moment de tirer des bombes guidées JDAM, car cela exige que l’avion monte en altitude pour le largage,  l’exposant aux systèmes sol/air russes. Ce type de leurre propose une cible potentiellement plus attrayante aux systèmes anti-aériens qui vont préférer traiter la cible qui se dirige vers leur territoire plutôt que celle qui fait demi-tour.
  • La deuxième est qu’il est utilisé pour accompagner les missiles de croisière Storm Shadow afin d’augmenter leur taux de réussite en offrant une cible plus voyante qui détournera les opérateurs du missile de croisière plus discret au radar et volant beaucoup plus bas. Le fait que le missile et le leurre aient des vitesses similaires rend ce cas d’usage particulièrement pertinent.
Restes d’un ADM-160B MALD

Pour être efficaces, les missions SEAD nécessitent une coordination des moyens. Il faut savoir quoi brouiller afin d’aveugler ces radars pour qu’ils ne détectent ni l’attaque, ni son ampleur ; c’est le travail de rla guerre électronique qui doit repérer les engins actifs. La goniométrie des signaux permet de déterminer les directions dans lesquelles se trouvent les radars visés. Ensuite, le tir des missiles anti-radar est possible et plus discret puisque les radars sont, au moins en partie, empêchés. Enfin, le tout doit être combiné à un raid aérien à base d’aéronefs, de leurres et/ou de missiles ayant des objectifs stratégiques dans la profondeur pour exploiter au mieux la neutralisation partielle (le risque est diminué, mais n’a pas disparu) et temporaire de la défense sol/air adverse engendrée. Chercher à annihiler complètement une défense sol/air dans la durée est un objectif qui, historiquement, n’a jamais été atteint (même en Libye, il restait des systèmes SA-8 plus ou moins opérationnels ainsi que des missiles à très courte portée tirés d’épaule). Et c’est totalement illusoire quand on est face à des défenses nombreuses, multicouches et interconnectées, surtout si le défenseur adopte des mesures de protection (utilisation de leurres, mobilité des systèmes, utilisation intermittente…).

Le rôle des drones dans les missions SEAD

Si le rôle des drones dans les opérations militaires apparaît au grand jour, tout le monde sait que l’on n’est encore qu’au début de leur ère. Nombre d’applications n’ont pas encore été explorées ou, du moins, à peine effleurées. La mission de suppression des défenses sol/air est l’une de ces missions où les drones n’ont pas encore été utilisés à leur plein potentiel.

En effet, les missions SEAD, telles qu’elles existent aujourd’hui, présentent de nombreuses limites et ne permettent pas, dès lors que la défense sol/air est suffisamment dense, de la supprimer. En effet, tant que le défenseur dispose de missiles, il sera toujours en mesure de faire peser une menace sur les aéronefs qui s’aventurent au-dessus de son territoire. Néanmoins, depuis la guerre en Ukraine, les drones ont à leur actif un nombre significatif de destructions de systèmes sol/air qui sont, soit le résultat de la combinaison « drones d’observation/artillerie », soit le fait des drones suicides. Quoi qu’il en soit, de nombreux cas sont référencés[2][3], de part et d’autre, de destructions de systèmes sol/air avec cette tactique. Les drones utilisés sont en effet souvent trop petits pour être correctement détectés par les radars de ces systèmes d’armes, surtout conçus pour engager des aéronefs pilotés ou des missiles de croisière, cibles plus grosses et plus rapides bien plus facilement détectables. Contrairement aux missiles anti-radar, les drones suicides échappent souvent à la détection et ont donc un taux de réussite plus important.

Destruction d’un système SA-8 par un drone Lancet

Néanmoins, l’usage des drones, aussi efficace soit-il, pose aussi des problèmes. En effet, ne peuvent être détruits que les systèmes à portée de télécommande des drones et/ou de l’artillerie, ce qui limite fortement les capacités de destruction dans la profondeur. Cela ne peut être valable que sur une étendue limitée à quelques kilomètres ou dizaines de kilomètres. Autre point problématique, la vitesse des drones est généralement bien inférieure à celle des missiles ou des avions de combat, ils ne peuvent donc pas ouvrir la voie à un raid aérien et/ou de missiles. Le différentiel de vitesse est rédhibitoire.

Pour ces raisons, les drones ne peuvent rivaliser avec les missiles anti-radar qu’ils ne remplaceront donc pas. Pour autant, ils pourraient avantageusement les compléter avec un usage plus important de drones cibles dont le seul but est de servir d’appât pour une défense anti-aérienne. L’Azerbaïdjan a déjà utilisé cette technique en employant des vieux avions à hélices AN-2 dronisés et télécommandés et la Russie a également utilisé des drones E95M, TU-143 et KBLA-IVT. L’utilisation de ces drones auraient un double objectif : servir de leurres pour attirer l’attention de l’adversaire dans une zone donnée en vue de cacher une autre manœuvre, et épuiser ses stocks de missiles.

Drone cible E95M

La nécessaire refonte des missions SEAD et importance de l’adjonction de moyens LAD à tous les moyens de défense sol/air proche de la ligne de front.

Compte tenu de l’historique pour le moins contrasté des missions SEAD au niveau efficacité,  celles-ci doivent donc être repensées en profondeur pour adapter les moyens et les tactiques au contexte de guerre de haute intensité contre un adversaire à parité technologique. Faute de quoi, les appareils pilotés pourraient être amenés à disparaître des théâtres d’opérations pour ne plus opérer qu’à grande distance en tant que plateformes de lancement de missiles ou de drones ; cela pourrait remettre complètement en cause l’existence des avions de combat omni-rôles tels qu’ils sont définis aujourd’hui. Les défenses sol/air d’aujourd’hui ont un niveau d’efficacité qui ne permet plus de miser sur leurs « dysfonctionnements » et cela même s’il faut toujours, en moyenne, plusieurs missiles anti-aériens pour abattre une cible même « facile » comme les missiles de croisière subsoniques qui ne disposent d’aucune capacité de manœuvre ni de systèmes d’autoprotection.

De manière empirique, on peut considérer que si un adversaire dispose d’au moins quatre fois plus de missiles intercepteurs que ce que nous-même sommes capables d’envoyer contre lui (aéronefs, missiles de croisières, bombes planantes etc..), son espace aérien restera contesté de manière  rédhibitoire pour espérer y engager des appareils pilotés.

Dans ce cadre, nul doute que les drones ont une partie à jouer autant pour saturer, épuiser et détruire les défenses anti-aériennes. En contrepartie, cela signifie également qu’ils vont représenter une menace de plus en plus importante pour notre défense sol/air qui paraît aujourd’hui très insuffisante au regard de ce qui se passe en Ukraine. Ainsi, la Italie ne dispose que d’environ 400 missiles ASTER 15 et 30 pour sa marine et 200 ASTER 30 pour ses 8 batteries SAMP/T sur 1300 missiles produit depuis son entrée en service soit une production annuelle très en dessous de la centaine (ces chiffres ne prennent pas en compte la récente commande de 700 missiles ASTER 15 et 30 pour la France et l’Italie).

En effet, il devient particulièrement risqué d’approcher des systèmes sol/air de la ligne de front ce qui prive les forces d’une protection anti-aérienne et les expose donc aux hélicoptères de combat et à l’aviation d’assaut qui évoluent à basse altitude, en dehors des volumes de détection et de tir des systèmes sol/air. Les équipements anti-aériens sont particulièrement précieux et doivent donc être protégés contre cette menace à bas coût, mais  létale.

Compte du coût relativement faible de certaines solutions anti-drones, notamment les solutions de guerre électronique, par rapport à celui des systèmes à protéger et de leur importance dans le système défensif. Il n’est plus possible de faire l’impasse sur ce type de protection et de perdre du matériel à plusieurs millions ou dizaines de millions d’euros contre des munitions qui n’en coûtent que quelques centaines à quelques milliers. A minima, l’intégration d’un système de détection radio fréquence des liaisons de données des drones/munitions rôdeuses en question, système passif, léger, facile à intégrer et économiquement abordable permettrait d’avertir d’une menace potentielle et de mettre en place des mesures de protection (déplacement des véhicules, mise en place de fumigènes, brouillage, etc.). C’est un prix, finalement pas si élevé, à payer si on veut garder une défense sol/air efficace et crédible.

La mission de suppression des défenses sol/air est une des missions les plus complexes qui soit. Très peu de nations disposent réellement des moyens nécessaires à cette tâche. Et encore, les moyens disponibles sont rarement dimensionnés pour se confronter à des défenses multicouches, denses, modernes et en profondeur. Il est vrai que, depuis l’effondrement de l’URSS, les pays occidentaux ne pensaient plus avoir à affronter de grandes puissances militaires. Le confort opératif des guerres menées depuis 1991 a masqué cette faiblesse capacitaire bien qu’il y ait eu quelques alertes sérieuses, notamment lors des opérations contre la Serbie, mais le différentiel de puissance était tel que cela a camouflé cet aspect.

Cette guerre entre la Russie et l’Ukraine montre à quel point il est difficile de neutraliser complètement la menace représentée par les armes anti-aériennes ; c’est un vrai problème aujourd’hui, quand les avions de combat sont peu nombreux et coûtent facilement 100 M$ pièce. Qui prendrait le risque de perdre délibérément plusieurs appareils de ce prix quand on n’en dispose que de quelques centaines et que, de plus, les remplacer est long, difficile et coûteux ? De la même manière, qui prendrait le risque de perdre des pilotes dont la formation sur ces machines incroyablement complexes demande beaucoup de temps, des qualités physiques, intellectuelles et cognitives toujours plus élevées et donc de plus en plus rares à trouver ?

Les drones ont montré qu’ils ont un rôle à jouer, mais ils ne pourront pas tout faire non plus. La SEAD, telle qu’elle est aujourd’hui défini, doit être complété notamment grâce aux drones afin d’en améliorer son efficacité. A l’inverse, cela signifie également que plus que jamais la lutte contre les drones doit être une partie intégrante de la défense sol/air d’aujourd’hui et de demain, au risque de perdre la capacité à défendre notre propre espace aérien.

[1]     Le 13 mai 2023 un ou deux auraient été abattus par des missiles très courte portée tirés d’épaule par des forces ukrainiennes infiltrées en territoire russe.

[2]     https://www.youtube.com/watch?app=desktop&v=ClfpOE9SRFw

[3]     https://www.youtube.com/watch?v=xRWDNJLXP_U

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